Chapitre XXVII
L’escadre de l’ouest était commandée par le rear-admiral Joyle et c’est lui qui rencontra le Kid pour les modalités de reddition. Il arriva à bord d’une chaloupe, sorte de draisine blindée avec un toit en plexiglas épais. Le Kid attendait dans son train spécial.
Joyle était petit et rond avec un visage coupé par une vilaine cicatrice. On le disait très courageux, très coléreux aussi.
— Nous vous proposons une trêve totale, dit-il d’entrée. Nous resterons en dehors des combats en échange de ravitaillement et de combustible. Dans huit jours nous nous reverrons pour décider d’une nouvelle trêve.
— Vous êtes complètement coupé de tout, rear-admiral. Dans votre dos, les corvettes de China-Voksal vous interdisent la retraite, et de toute façon le réseau clandestin est en partie détruit. Votre seule issue c’est de nous détruire. Mais vous n’y êtes pas parvenu.
— Nous pouvons combattre encore quatre jours.
— Mettons quarante-huit heures, dit le Kid.
— Nous pouvons percer le front et pénétrer dans votre réduit.
— C’est vrai. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Si je vous accorde huit jours vos hommes seront rétablis et vous aurez réparé vos unités les plus touchées. C’est une reddition avec conditions que je vous propose.
— Pas de reddition, dit le Panaméricain. Ce mot est odieux pour moi.
Il fallait faire vite. Les radios périphériques annonçaient qu’une délégation des C.C.P. s’était rendue à Kaménépolis pour se préparer à relayer les Panaméricains dans l’administration de la ville. Les habitants préféraient n’importe qui à leurs maîtres actuels et risquaient de bien accueillir les jeunes Miliciens fanatiques. De plus, Lady Diana attaquait dans le sud, une offensive lente, très étendue, peu meurtrière pour l’instant mais elle pourrait le devenir. Le Kid avait besoin d’envoyer ses unités du front ouest là-bas.
— Vous allez nous livrer vos mini-poseuses de rails.
— Toutes ?
— Les quatre.
— Il n’y en a que trois.
— Quatre, je suis bien renseigné.
— Elle est endommagée.
— Aucune importance, nous réparerons… Vous livrez aussi vos stocks de missiles. Uniquement les missiles. Nous vous ravitaillons en nourriture et huile de phoque. Nous vous concentrons sur quelques kilomètres de réseau. En attendant d’avoir construit des voies de garage. Enfin vous nous livrez tous les wagons-citernes de résine spéciale rail.
Joyle se dressa comme un pantin à ressort :
— Jamais. La moitié des missiles seulement.
— Tous les missiles, tous les wagons. Vous garderez les autres munitions, même les obus, les roquettes portatives, etc. Juste les gros missiles.
— Nous les déposerons dans un endroit gardé par nos deux armées.
— Non, dit le Kid. Pas question.
— Alors je reprends la guerre, dit Joyle.
— Vos hommes ne supporteraient pas une heure de fatigue de plus, vous le savez bien. Ils sont désespérés. Le rail est coupé derrière eux et devant eux. C’est une situation effrayante pour eux.
— Je saurai galvaniser leur courage.
— C’est une guerre peu exaltante. Ils le comprennent bien. Vous ne défendez rien, même pas un idéal. Vous voulez nous réduire, nous voler nos ressources.
Joyle balaya d’un geste ce genre de considérations. Lui n’avait pas d’état d’âme. Il faisait la guerre pour la guerre, tout simplement.
— Nous garderons la moitié des missiles et la moitié des wagons-citernes, dit-il avec une voix tranchante qui n’impressionnait pas le Kid.
— Excusez-moi, dit le Gnome.
Dans la pièce voisine il consulta les dernières dépêches. La délégation C.C.P. discutait avec Lady Diana à bord de son croiseur. L’offensive australe paraissait bien molle. Dans Hot Station, on célébrait avec ferveur les dernières victoires de la Compagnie, et le matin même trois cents jeunes de quinze à dix-huit ans étaient venus s’enrôler auprès des Chasseurs de phoques. La production d’huile de ces animaux était largement excédentaire.
Il plaça les deux dépêches sous les yeux du rear-admiral :
— Ce n’est pas de la propagande.
Joyle les lut puis réfléchit :
— Un quart de missiles, un quart de wagons-citernes restent avec nous. Dans huit jours on se rencontre à nouveau pour discuter de la situation.
Le Kid savait qu’il allait prendre un risque énorme d’avoir Joyle et ses unités blindées sur le flanc droit, mais il devait parer au plus pressé.
Il alluma un cigare, commanda le thé. Et aussi de l’alcool. Joyle ouvrit des yeux ronds et déclara qu’à son bord il était interdit.
— Je peux vous en passer quelques flacons, dit le Kid. Un quart de missiles, toutes les citernes.
— Non. Nous aurons besoin peut-être de couper à travers la banquise pour rentrer chez nous.
— Impossible, nous tenons toutes les échappatoires. Ce bout de réseau que nous avions commencé de reconstruire le long de la frontière, nous l’occupons et le défendrons. Vous allez vous regrouper sur dix kilomètres, attendre huit jours sans bouger.
— Quand prendrez-vous les missiles et les wagons ?
— Dès l’inventaire fini. Il commencera dès demain matin si vous signez l’accord.
Pendant qu’on préparait le protocole, ils burent un peu d’alcool. Le Kid pensait aux missiles qu’il allait réutiliser sur le front sud, à la résine qui allait lui permettre de couper à l’oblique dans la banquise pour rejoindre Carson et ses hommes, sortir Titanpolis de son isolement et peut-être encercler Kaménépolis avant que les C.C.P. s’y installent.
— Vous êtes au courant pour ces C.C.P. ? demanda Joyle. Vous aurez des adversaires étranges sur le dos. Des gens qui n’écoutent que leur fanatisme.
On signa les accords et les radios diffusèrent la nouvelle sans parler de reddition, mais d’armistice avec satisfaction des exigences immédiates. Mais dans tout le nord de la Compagnie on fêta joyeusement la nouvelle.